Il y a cinq ans, ma mère a failli mourir et est allée en HP. Mon père était plutôt agressif contre moi, mais je ne lui en veux pas, il y avait beaucoup de pression, il avait besoin de relâcher, il n'a pas été violent physiquement, c'est déjà ça. A cette époque, on pouvait manger grâce au revenu de mon frère, et j'ai culpabilisé de pouvoir aller en cours alors que lui nous avait à sa charge (il a transformé son stage en job au lieu de reprendre ses études), on mangeait pas énormément pour autant, j'ai fait un malaise à la piscine, un steak le midi, ça suffit pas face à 500m d'échauffement. J'ai perdu un peu de poids, mais dès que financièrement c'est allé mieux, j'ai vite repris, très vite, beaucoup. Je faisais des fournées de cookies que j'engloutissais avant que ma famille ne revienne. Cela faisait des années que l'ambiance était malsaine à la maison (j'avais l'impression de jouer un rôle, comme si je jouais à celle qui croit que tout va bien), et j'avais déjà montré que ma gourmandise allait un peu plus loin que la simple gourmandise. J'ai eu mon bac, avec mention, un miracle vu la faiblesse de mes révisions. J'avais autre chose en tête, m'occuper de ma famille. J'avais développé des TOC depuis un bout de temps, comme si ça pouvait protéger ma famille d'autre drame, j'avais même des hallucinations. Je pensais devenir folle. Quand mon père est parti bosser ailleurs et que je l'ai suivi en disant vouloir le sauver, j'ai sûrement fait la pire connerie de ma vie, et pourtant, je sais que je la referai. Première partie du temps, il ne pouvait pas me payer à manger (et on avait des plaques de cuisson qu'on ne pouvait poser qu'au sol, le temps que ça chauffe, les fourmis et autre insecte traversait tranquillement le plat...), et je devais me taper des kilomètres à pied pour trouver un Netto (joie de la campagne), j'ai perdu à vitesse grand V, et je sacrifiais ma part pour mon père qui travaillait. Jusque là, je n'ai pas vraiment montré des TCA... Et j'étais même contente, je me sentais légère, j'avais l'impression de flotter, de voler. Sauf que voilà, dès que l'argent revient, je mange jusqu'à en être malade, jusqu'à ce que physiquement, il me soit impossible de manger plus, je mange toute la journée si je n'ai pas cours, je mange à chaque remarque de mon père, à chaque mal être, je mange, encore, encore, encore. Et je passe d'une taille 38 à 46. Je me cache des regards des autres... sauf pour aller acheter à manger, là je me fais les kilomètres en souriant avec le plaisir anticipé de tout ce que je vais manger. Si mon père prépare un plat pour 4, qu'il me sert une portion et que je vais poser l'assiette dans la cuisine, si je vois les restes froids dans les casseroles, je vais y manger avec les mains, comme si j'avais encore faim. Voilà, j'atteins 100kg, je les nie, je nie que c'est grave, que c'est dangereux, dans ma tête, je n'y suis pas, je me mens, je ne me vois pas. La psy me dit que je suis boulimique, mais je ne vomis pas, alors je ne la crois pas, je dis que je réfléchirais à son programme, au fait d'aller à l'hôpital de jour, je sais que je n'en ferai rien. Et puis je pars de chez mon père, je craque, je fuis. J'arrive chez une femme pour qui, la minceur est importante et je ne colle pas au profil même comme fille au pair. Régime forcée. Elle s'assure que je respecte ses règles "tu ne manges pas de chocolat en douce ?", j'ai à manger une fois par jour, le soir en général, sauf le mercredi et le samedi, où je bosse le matin pour elle, alors je mange le midi. Si je veux manger le dimanche, je dois me faire à manger, sauf que malgré mes 3h par jour pour elle, je ne suis pas payée, mon travail paye ma chambre. Une fois encore, je finis par partir, je craque, je tiens un semestre. J'ai perdu 20kg. Je finis dans une colocation, j'essaie de me faire à manger, j'abandonne vite, je n'ai pas faim, je n'ai pas envie de me faire à manger, je veux maigrir, encore, encore. J'ai l'envie de disparaitre sous les plis de ma couette. Je perds, je fonds. J'attends les 70kg. Moins 30kg perdus en moins de 7 mois. Ca peut paraitre énorme, moi ça me parait trop peu, mais j'avais besoin de manger, mon corps me le réclamait, j'obéissais et je me faisais vomir, encore, encore. Parfois je me forçais à garder la nourriture, je me haissais pour ça, je me forçais. Je sortais pour m'empêcher de vomir, pour garder un peu de force, un peu de truc en moi. Mon poids a fini par se stabiliser mais le psy voulait que j'entre dans un appartement de soin, que je sois suivie lors des repas, que je sois soignée, tout simplement. J'ai refusé, j'ai encore une fois nié que j'avais un problème... J'entre en troisième année de droit. Dingue de tenir en étant mal, mais je tiens. Plus ou moins. Je mange n'importe quoi, je peux me le permettre, je mange peu mais n'importe quoi, je ne grossis pas. Durant l'été si, mes parents me surveillent, me forcent à manger, s'assurent que je ne vais pas vomir, j'ai tellement peur de les décevoir que je ne fais rien de mal, pire, je prends du plaisir à manger, parce que je retrouve l'un de mes parents, à un moment. Je m'en veux de prendre du plaisir, parce que je sais qu'à la rentrée, mon corps sera privé à nouveau. Je me dis que je recharge les batteries. Au final, je grossis durant les vacances, mais jamais autant de kilos que perdu durant l'année U, juste assez pour me laisser, à la fin de l'année U suivante, entre 55 et 60kg. Troisième année de droit, je finis en HP, je finis par manger 4 fois par jour, je finis par avoir ma vie rythmée par les repas et par manger avec appétit, comme chez mes parents. Je n'ai pas à cuisiner, je n'ai pas à avoir peur du miroir, il n'y en a pas, ni du regard des autres. Et puis il y a les médocs, le calme la journée et je dors la nuit, sans cauchemar, sans voix dans ma tête. Le psy parle d'un épisode dépressif majeur sérieux. Je sors quand même, je passe mes examens pour deux diplômes, j'obtiens les deux. Je passe à l'année suivante. Chaque année de fac je change de ville, pas d'exception. Cette année je vais mieux, pas de voix, pas d'idée noire, pas d'envie de maigrir jusqu'à disparaitre dans les plis de ma couette, ou de manger à ce que mon estomac explose, pas d'envie comme ça, j'accepte l'idée de manger mais je n'accepte pas mon corps. Le problème ? Je suis incapable de me faire à manger. Je sais cuisiner mais je refuse de le faire. Je ne mange que des choses qui n'ont pas besoin de l'être, que des choses déjà prête, que des choses qui ne me demandent pas de rester dans une cuisine. Et ça, ce comportement, ça a un nom ou c'est juste une conséquence ? Certains pensent que j'ai juste la flemme, à d'autres je dis que j'ai l'impression de perdre mon temps si je le fais, que les cours/révisions priment. Mais moi je sais que je me bats contre un truc, mais je sais pas le nommer, j'ignore ce que c'est et c'est peut-être ça qui me fait le plus peur, l'impression de demeurer anormale malgré mes efforts. Je sais que j'ai été anorexique, que j'ai eu des épisodes boulimiques, je sais que j'ai peur de grossir, je sais que si je craque, que je mange maintenant, je mangerai cachée, enfermée dans ma chambre, et que 6 wings, une pizza entière et une glace, ça dure 15mn et sans aucun plaisir lors du repas... Je sais pas ce que j'ai, je voudrais que ça ait un nom, juste pour me dire que je lutte pas contre une sorte d'ennemi invisible que je suis la seule à voir. J'oubliais, je suis "pulpeuse" selon les autres, grosse selon moi. Pas mince. Et une personne a su ce qui se passait dans ma tête, elle a dit "en te voyant, on s'en douterait pas". D'autres amis me sortent : "je t'ai connue bien plus grosse, là ca va". Ca me rappelle les phrases d'avant les "ton visage plait, mais ton corps", "tu n'as pas de taille, on dirait un tronc". Tout ça me donne envie de pleurer, de vomir, de ne plus manger... Ma douleur ne se voit pas, je souris en permanence parce que c'est ce qu'on attend de moi.
Voilà ma petite histoire, j'espère qu'elle n'est pas trop confuse. J'espère que vous trouverez le nom à poser la dessus... Merci

Une mauvaise herbe.