"Après les crises, elle ne savait pas le sens qu'il lui fallait commander à la journée qui arrivait. Il y avait eu charivari de fromage blanc dans le tohu bohu des cuillers qui s'entrechoquaient, jetées dans l'évier pendant la crise, perdues pendant les fouilles dans le refrigerateur à la recherche de fruits défendus, rouges et sucrés, puis sucrés encore à l'aide de demi pots d'édulcorants, abandonnés pour des proies moins appétissantes mais plus consistantes, puis délaissées à leur tour car véhicules rapides de haine pour soi et de honte pour la famille si elle la voyait ainsi maculée de boue alimentaire, laissés sur le côté de l'évier tâché pour du café soluble: pot de 500 grammes, en tout décaféiné, avalé à la petite cuilleres en argent, aspergé de poudre de sucre en résine blanche, avalé, collé au palet, puis pour faire passer, encore du fromage blanc. Passé u congélateur, mais n'ayant pas eu le temps de se solidifier pour parer aux attaques carnassières de dame boulimie...
quoi apres cela? du mieux? du bien être? la fin de ses angoisses? non le trop plein, pire que le plein, la surdose stomachale, la sensation d'etre remplie de non sens, pas de plénitude agréable, mais le remède morbide au vide qui fit suite à son réveil brutal, affamée, l'intestin gargouillant et se tordant sous les coups de boutoir d'une famine lointaine, jamais morte, jamais éradiquée, à plat dans les tranchées d'une guerre intérieure...
il n'y a pas de sens se dit elle: la crise emplit jusqu'à complet désemplissement, jusqu'à passage par les toilettes, jusqu'à vidange faite, mais il n'y a là aucun espoir, c'est répétition maladive. Elle se faisait l'effet d'une chambre à air qu'on regonfle pour faire les derniers kilomètres jusqu'à la frontière d'une possible liberté, zone libre enfin mais qui ne l'atteignait jamais car l'air dont elle se gonflait était putréfié à la source. Ce n'etait pas le bon moyen, le bon outil cette chambre à air qu'elle n'etait pas... elle ne faisait que s'enliser dans ce trop plein de nourriture et devenait du même coup humaine avariée, en déroute, jusqu'à basculer sur le bas côté, le côté des morts...
elle cherchait un remède, une recette automatique qui permettait de faire face au sentiment de vide sans même avoir à l'accepter, quelque chose comme un vade mecum de troufion pas futé qui aurait à appliquer pour ne plus être en crise, en proie aux mille tourments d'une tempête suicidaire par ingestion de patates jusqu'à ne plus en pouvoir, pour oublier, pour s'oublier, alors que tout ça faisait exactement l'effet inverse;
or, la décision tomba sans appel: la recette n'existait pas. Autant on pouvait mettre en place des comportements d'évitement, des règles d'analyse transactionnelle lui avait dit le médecin de la garnison, mais en ce qui concerne le vide, soldat anne, non... il n'y a rien que l'on puisse faire. L'économie de la triste réalité ne peut se faire avec ou sans votre consentement: hyatus il y a, et vide il y aura toujours. Pour pallier l'entrée en crise, il faut accepter que tout ne sera pas toujours fête, tout ne sera pas toujours exaltation de la vie, quelquefois des angoisses sourdes adviendront comme elles sont déjà advenues. Parfois, il s'agira juste en une journée, pour toi anne comme pour les autres, de faire face à des assiettes creuses, vestiges de soupe, qu'il faut laver, alors que dehors il fait gris, que le telephone se tait obstinément, que les amis semblent révolus, partis, fuyant ta compagnie.
Ce vide là fait croire à des faux semblants et ces faux semblants se chevillent à ton corps tels des cancrelats avec lesquels tu t'engouffres dans le réfrigérateur à la recherche fébrile de nourritures, même les plus dégoutantes. Mais ce ne sont que des illusions, car l'instant d'après, si tant est que tu aies fait tes armes et réussis à passer ce cap des sirènes qui tentèrent Ulysse lui même, tu passes un cap, long, difficile, tout en attente, tout en patience, et bientôt vient l'apaisement. C'est le seul remède, accepter que la vie n'est pas plénitude, accepter qu'elle n'est pas que lumière de music hall, et strass des amours éphémères, accepter la vie telle qu'elle est, accepter pour sortir. Victorieuse.
Saine. Sauve. Libre."
asf kt
22 08 05
"soluble à la carte"
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