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Ana, mia et les autres

Ana, mia et les autres : bienvenue dans l’enfer des troubles du comportement alimentaire « Mouvement ana », « mia », « thinspiration »… les communautés liées aux troubles du comportement alimentaire sont parmi les plus actives sur Internet.

 

Le Monde.fr | 03.11.2014 | Par Grégor Brandy (Journaliste)

 

Des centaines de sites, des milliers de photos, autant de témoignages… les communautés liées aux troubles du comportement alimentaire ne sont pas forcément visibles de tous, mais elles font partie des plus actives sur Internet. Un rapport paru en novembre 2013 et intitulé Les jeunes et le Web des troubles alimentaires : dépasser la notion de « pro-ana » liste près de 600 sites. Un nombre stable depuis plusieurs années.

Pour comprendre le fonctionnement de ces communautés, il faut savoir ce que sont les troubles du comportement alimentaire (TCA). Le plus connu et le plus facilement reconnaissable est l’anorexie mentale (anorexia nervosa) soit « la restriction volontaire de l’alimentation avec véritable obsession concernant la nourriture et rites destinés à contrôler l’attrait de celle-ci ». Il y a également la boulimie (bulimia nervosa), qui se caractérise par des « accès répétés d’hyperphagie (fringales alimentaires), auxquels met fin une sensation inconfortable de réplétion, associés à une préoccupation excessive concernant le contrôle pondéral, avec alternance habituelle entre des périodes boulimiques et anorexiques ». S’y ajoutent d’autres troubles du comportement alimentaires plus rares, dont certains ne touchent qu’une partie infime de la population.

 

La naissance d’ana et de mia

 

Si ces importantes communautés en ligne se font discrètes, c’est parce que l’anorexie et la boulimie ont été visées dès leur apparition sur le Web par des tentatives de censure. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que le Web est encore principalement constitué de portails, AOL et Yahoo! décident de censurer les mentions à l’anorexie et la boulimie des discussions. Trop dérangeant, trop choquant. Mais les troubles sont toujours là et le besoin de témoigner reste. Alors, plutôt que d’employer ces deux termes, deux autres apparaissent : « ana » pour l’anorexie et « mia » pour la boulimie.

Depuis, les réseaux sociaux sont apparus, et certains, comme Tumblr, Instagram ou Pinterest, font la part belle aux images partagées par les adolescents. Quand on tape « ana » ou « pro-ana » dans les champs de recherche, des dizaines d’images de jeunes filles maigres ressortent. Cages thoraciques décharnées, clavicules qui ressortent, jambes qui ne semblent plus composées que d’os… Des textes ou des hashtags les accompagnent parfois, rendant l’expérience encore plus dérangeante, quand certaines personnes essaient de convaincre leurs lecteurs de les rejoindre. C’est ce qu’on appelle les mouvements ana et mia. Des communautés qui estiment que ces troubles du comportement alimentaire ne sont pas une maladie, mais un mode de vie. Des exemples de résultats obtenus sur Tumblr avec une recherche du terme « pro-ana ».

« Thinspiration », « thigh gap » et « bikini bridge »

Comme l’explique Antonio Casilli, chercheur à Télécom Paris Tech et EHESS Paris qui a cosigné avec Lise Mounier, Fred Pailler et Paola Tubaro, le rapport sur les jeunes et le Web des troubles alimentaires :

« Ces plateformes qui mettent en avant le contenu iconographique ont été concernées par ce phénomène qui est lié aux communautés ana et mia qu’on appelle la “thinspiration” soit l’inspiration à maigrir. Cela consiste à partager des images qui étaient censées montrer les idéaux de beauté à suivre pour inspirer les gens à bien respecter le régime. »

Autre concept largement partagé, le thigh gap, une technique qui consiste à serrer les pieds et à noter l’écart visible entre les cuisses. Plus l’écart est grand, « mieux c’est ». Sur 4chan et son sous-forum /b/ – la « poubelle du Web » –, on a eu vent du phénomène. Sur ce gigantesque forum anonyme de publication d’images, tout y passe : pornographie trash, images gores, mais aussi de nombreux montages humoristiques inventifs et décalés. En 2012, quelques personnes présentes sur /b/ avaient ainsi réussi à pousser des fans de Justin Bieber à se scarifier. Plus récemment, on les a retrouvées derrière le vrai-faux mouvement de promotion du « bikini bridge » (l’écart qui se forme entre le bas d’un bikini et l’abdomen lorsqu’on est couché).

Tous ces phénomènes sont depuis passés à la postérité, partagés principalement par des jeunes filles sur Tumblr, Pinterest, Instagram et quelques forums. Elle s’encouragent mutuellement, se donnent des conseils, se persuadent qu’elles sont dans le vrai et que leur conduite est normale. Cela se transforme parfois en compétition et devient extrêmement dangereux. Joanna Kay (le nom a été modifié), une ancienne anorexique, expliquait ainsi dans l’émission « New Tech City », sur la radio américaine WNYC : « La thinspiration peut aller très loin. Les gens qui la pratiquent iront jusqu’à se décharner. Les troubles du comportement alimentaire sont des maladies pour les personnes qui en souffrent. Pour moi, c’était un but, et je sais que ça a l’air fou, parce que c’est une maladie, mais c’est ce que je cherchais. »

Jamie Bartlett est le directeur du Centre pour l’analyse des médias sociaux. Il a observé plusieurs « communautés sombres » sur le Web caché. Interrogé par le Guardian, il explique que la communauté ana est extrêmement soudée. « Je m’attendais à trouver des groupes malveillants qui poussent de jeunes filles vers des comportements destructeurs, mais c’est l’inverse. Cette communauté est incroyablement aimante, attentionnée, amicale. Les gens sont toujours là les uns pour les autres. Mais, à cause de cela, ce comportement négatif fait partie de votre vie sociale. Vous ne vous rendez même pas compte que cela est en train de se produire. […] Cela fait partie de leur identité. Et ces personnes sont terrifiées à l’idée de quitter ces sites parce que c’est leur vie sociale. […] La gentillesse et la chaleur font que c’est destructeur. » Mais il serait faux et réducteur de regrouper l’ensemble de ces comportements, pour certains dangereux pour la santé, sous la bannière « ana et mia » – et de croire que les sites qui y sont consacrés en font l’apologie. La plupart des blogs et forums que nous avons pu consulter contiennent un avertissement qui indique que les contenus présents sont susceptibles de choquer, que l’anorexie, la boulimie ou n’importe quel autre trouble du comportement alimentaire n’est pas un choix de vie mais une maladie avec laquelle on vit.

Lire l’article en entier : ICI

Article écrit par Isabelle PODETTI


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  • Association Enfine - Écoute & Entraide Autour des Troubles du Comportement Alimentaire

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