Meurs la faim

Par : Charlotte Planchette

« Pas de vague, Maud, pas de vague. C’est ce qu’on attend de toi : une belle étendue d’eau, bordée de peupliers, toujours à la même place, toujours sous le même ciel »

« Peu importe la quantité de Nourriture. Seul compte l’instant. Que la Nourriture soit toujours avec moi, qu’Elle ne me quitte plus, que je ne La quitte plus. Que je L’étreigne, La baise à chaque seconde de mon existence. Tant pis si le baiser est mortel. »

Le blanc. Enfant, Maud n’a connu que des maisons aux murs désespérément blancs, nus, impersonnels, des maisons qui se sont succédées au rythme d’incessants déménagements. Ballottée d’une ville à l’autre, sans repère, sans véritable ami, subissant les privations matérielles imposées par sa mère et le silence froid de son père, Maud ne s’est pas permise d’exister. Dans ce témoignage qui tient surtout du roman, elle raconte qu’elle s’envoie régulièrement de cruelles missives à l’encre rouge, s’imposant des directives quant à ses résultats scolaires, s’infligeant des punitions lorsque ces derniers ne sont pas à la hauteur de ses espérances.

Maud montre comment l’indifférence de son père ouvre petit à petit une brèche en elle, qui se transforme vite en un abîme, engendrant une faim irrationnelle, insatiable. La perte d’une amie, sans raison, augmente cette sensation de vide, que seule la Nourriture pourra dès lors apaiser. Maud voit son corps changer au rythme des crises, sa taille s’épaissir, ses cuisses tendre la toile de ses pantalons désormais trop justes. Et son surmoi se développe, sous la forme d’une petite voix qui interdit, oblige, tyrannise la jeune fille : elle s’impose alors des restrictions alimentaires qui causeront davantage de crises. Elle s’abîme dans la nourriture, déesse bienfaisante et vénérée, oubliant la réalité, sa solitude et son dégoût d’elle-même.

Maud raconte alors comment sa passion destructrice la conduit à voler, à fouiller dans les poubelles, à se ruiner en mets divers, mais surtout à faire une croix sur son amour propre. Sans honte, sans pudeur importune, elle relate les étapes qui ont ponctué sa descente aux enfers. Hospitalisée, on lui prescrit un régime « à 1350kcal » et des médicaments. Maud oscille dès lors entre régime drastique et orgies. Les crises de nerfs font leur apparition, ainsi que des pulsions suicidaires. Maud finit par accepter de se faire aider, et c’est ainsi que se clôt le roman : Maud va enfin pouvoir tâcher de comprendre qui elle est et de mettre des mots sur ses maux.

Si Anne Calife n’évoque pas la guérison de Maud, c’est un choix réfléchi : elle nous livre le matériau à l’état brut, le passé de Maud tel que celle-ci l’a vécu. Au lecteur de faire sa propre analyse, d’assembler progressivement les éléments donnés pour comprendre comment la maladie de la jeune fille a vu le jour : c’est dans cette prise de risque volontaire et payante que réside toute l’habileté de l’auteur.

Disponible sur le site de la Fnac : Meurs la faim

Article écrit par Charlotte Planchette


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