Parlons du film The Whale 

Par : Isabelle PODETTI

Le film The Whale retrace quelques jours de la vie de Charlie, un homme souffrant d’obésité morbide, qui tente de renouer avec sa fille adolescente.

Une ambiance pesante

Le film retranscrit parfaitement la sensation d’enfermement que Charlie peut ressentir, seul dans ce petit appartement dont il n’investit presque que le canapé. Volets fermés, couloirs minuscules comparés à sa corpulence, tables et meubles encombrés, Charlie évolue dans un décor écrasant. Les autres personnages entrent et sortent sans que Charlie n’ait de contrôle dessus. Il n’a pas la possibilité de tenter de les retenir. Sa condition l’empêche d’être acteur du lien. 

La seule ouverture sur l’extérieur dont Charlie dispose sont les cours en ligne qu’il dispense. Mais pour être « libre », il donne ses cours sans webcam.

« Nul ne peut être sauvé »

Un jeune missionnaire fait la connaissance de Charlie. C’est d’ailleurs la toute première scène du film, l’une des seules qui se passent hors du cadre de l’appartement. Tout de suite, le jeune homme se sent investi d’une mission divine : Sauver Charlie. On pourrait trouver attachant ce jeune homme juste convaincu de ses croyances et de sa bonne intention, mais il n’en est rien. Charlie lui arrachera un élan d’authenticité au pied du mur et ce n’est pas beau à voir. Le missionnaire, c’est le miroir de la société qui renvoie à Charlie tout le dégoût, l’incompréhension et la haine que beaucoup de gens partagent.

Liz, la meilleure amie de Charlie, n’échappe pas aux travers du rôle de sauveur. Contrairement au missionnaire, elle n’est pas portée par des croyances spirituelles ou le jugement sociétal. Elle oscille entre l’aide auprès de Charlie (courses, déplacement, assistance médicale) et colère envers son ami qu’elle ne supporte pas de voir se détruire ainsi. Elle veut le protéger et le sauver malgré lui, et chaque refus de Charlie est une déception supplémentaire qui augmente la culpabilité de Charlie (« Sorry Liz… » « Stop saying sorry ! ») Pourtant elle fini par l’admettre en parlant d’Alan, l’ex-compagnon de Charlie : « I don’t believe anyone can be saved » (Je ne crois pas qu’on puisse sauver les gens). Liz, c’est la sauveuse qui finit par accepter son impuissance, et qui accepte, finalement, de simplement accompagner.

« La baleine » et l’humain : une quête d’authenticité

Durant le film, la relation entre Charlie et Dan, le livreur de pizza à qui Charlie n’ouvre jamais la porte, grandit. Ils échangent quelques mots, toujours à travers porte et volets fermés. On sent que Dan a une réelle envie de se connecter à Charlie. Mais le jour où Dan voit enfin Charlie tout s’envole. L’humanité de Charlie est complètement anéantie dans les yeux de Dan. Charlie est renvoyé à sa condition d’homme obèse, et à sa honte… et se jette corps et âme dans une crise d’hyperphagie aussi épouvantable qu’incontrôlable.

Lorsque la fille de Charlie entre en scène, elle n’a pas vu son père depuis des années. Elle est violente, piquante, voire méchante, mais ne cède jamais à l’horreur ou à la pitié de voir Charlie. Elle le voit comme un père à qui elle en veut cruellement et qu’elle ne cesse de « piquer ». Ce n’est pas l’homme obèse qu’elle veut bousculer avec sa rage infinie : c’est le père qui l’a laissée tombée quand elle avait 8 ans. Et Charlie y voit une bouffée d’oxygène, une bulle d’authenticité. Celle-là même qu’il aimait tant chez sa fille et qu’il relit sans cesse dans son essai sur Moby Dick, écrit des années plus tôt.

Cet essai de sa fille contient la clé de l’histoire de Charlie…. Et la clé du film. Comme Achab, le protagoniste de Moby Dick, nous avons tous cette triste obsession triste de « tuer la baleine », tuer le monstre. Même Charlie. Mais épier la baleine (ou les gens gros), juger la corpulence et les comportements alimentaires de Charlie (ou, encore une fois, des gens gros) ne nous détourneraient pas de nous-mêmes ? De notre « own sad story » (De la tristesse de notre propre histoire) ?

Les bémols

Monstruosité vs. homosexualité : un parallèle bancal

The Whale parallélise l’obésité morbide et l’homosexualité, avec comme point commun la « monstruosité », métaphore filée du film. Cette comparaison pourrait se justifier par la peur de ce que nous ne voulons pas être ou devenir, mais le rapprochement paraît hors propos.

Grossophobie

Nous pouvons reprocher au film de mettre en scène un personnage qui ne représente qu’une minorité des hyperphages : les plus graves, les plus gros, les plus « mal » physiquement. A l’instar des anorexiques que l’on dépeint souvent tels des squelettes ambulants, cette représentation semble nier la souffrance psychique des personnes hyperphages qui se reconnaissent dans la douleur psychique de Charlie, mais pas dans son corps extrême. Au-delà d’invisibiliser ces personnes et de minimiser leur souffrance, cela ne manque pas de stigmatiser les gens gros.

NB : Ceci est une critique pensée et rédigée par des bénévoles d’Enfine. N’hésitez pas à vous emparer de la section des commentaires pour rebondir dessus !

Article écrit par Isabelle PODETTI


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