Je ne sais vraiment par où commencer, cela fait peur de devoir s’avouer à soi-même l’inavouable. Pire encore, de le reconnaître, de mettre des mots dessus, alors même qu’on se dit « mais non, tu psychotes, il y a des gens dans une situation bien pire que toi, tu n’as même jamais été hospitalisée, aucun médecin n’a diagnostiqué quoi que ce soit… ».
Peut-être mais pourtant le fait est là. Je suis en train de me couper du monde par mon besoin de m’isoler, de ne pas montrer ce corps qui me dégoûte tant. Combien de fois est-ce arrivé que je refuse de voir mon copain sous prétexte que mon ventre était trop gonflé à mon goût ? Ou bien que son départ ait suscité chez moi une frénésie d’avaler toute chose pouvant me remplir, avant de faire en sorte de me sentir de nouveau vide ?
Comment évoquer le sujet avec un parent sans qu’il réagisse de façon démesurée et nous interdise de poursuivre ces études qui lui coûtent si cher avec pour seul résultat de rentre sa progéniture malade ? Comment accepter que son enfant se détruise à petit feu ? Comment accepter de s’autodétruire tout en sachant exactement quelles conséquences ce comportement peut engendrer.
Les premiers symptômes commencent à se faire sentir, ce sentiment de se dessécher peu à peu, cette nausée permanente, cet estomac qui ne cesse de monter, monter, monter jusqu’au jour où il va réussir à se coincer au-dessus du diaphragme.
Je crois que le pire c’est vraiment de savoir. D’entendre des cours de médecine toute la journée, de réviser, de se poser des questions. L’ignorant se fait déjà du mal mais le sage devient fou. Non pas que je me considère comme sage. Je me sens épuisée.
Vidée de ce sentiment de devoir toujours jouer la comédie, sans pour autant pouvoir regarder les gens dans les yeux, chose qui m’était auparavant naturelle et qui me semble impossible aujourd’hui, c’est comme si quelqu’un tirait derrière mes orbites, obligeaient mes yeux à se détourner. Comme si un simple regard pouvait me démasquer, moi qui joue la comédie de la fille bien dans sa peau, qui fait plein de choses et respire la joie de vivre.
En réalité j’en arrive au stade où je n’ai qu’une envie, celle d’aller me coucher le plus tôt possible pour me réveiller un jour où je n’ai pas de crise. J’ai beau ne manger que des choses saines, j’ai le sentiment que le moindre grain de riz, la moindre tomate peut me rendre obèse. D’ailleurs après chaque repas, bien que non excessif, j’ai l’impression, en me voyant dans le miroir, de présenter le ventre d’une femme enceinte de huit mois. C’est peut-être exagéré mais les gonflements sont bien réels, probablement dus au fait que je laisse si rarement la chance à mon corps de digérer les aliments ingérés, qu’aussitôt engloutis, ils se retrouvent violemment éjectés hors de moi.
Et puis il y a ces phases où je ne peux même pas avaler et où je me retrouve à cracher au-dessus de la poubelle parce que la moindre pensée que tel ou tel ingrédient n’atteigne mon œsophage me donne déjà la nausée. Pourtant, tout allait bien il y a quelques mois. J’avais perdu dix kilos, je me sentais mieux dans ma peau, le moindre passage dans une rue me valait les clins d’œil et compliments de la gente masculine. Je me sentais emplie d’une force jusque-là improbable, d’autant que j’avais passé 21 jours à jeûner, avec pour seule nourriture des jus de fruits et légumes que je me pressais dès que j’en ressentais le besoin.
Ce furent trois semaines extraordinaires. Je me sentais légère, mon ventre était vide et plat et je débordais de vitalité, j’allais à la danse et pouvais sauter avec toute la liberté du monde, l’envie de faire tant de choses…C’était le printemps. Quand j’ai recommencé à manger, je me suis nourrie de la façon la plus « clean » possible, pas le moindre produit industriel ne devait passer le seuil de ma bouche. J’ai recommencé tout doucement. Tout d’abord avec des fruits et légumes à la vapeur, petit à petit, j’ai réintroduit les féculents…
Toujours dans l’absolue attention à ce que ce que je mange soit de bonne qualité, non industriel, non transformé, le plus pur possible en somme. Je me faisais mon propre pain, mon lait végétal, etc.
Toutes ces choses n’ont pas changé, je n’ai pas repris un gramme et je fais toujours autant de sport. Je m’autorise certes plus de choses mais j’achète toujours de bonnes choses et le Nutella et autres horreurs chimiques et bourrées de sucre blanc et émulgateurs n’ont pas leur place chez moi.
Alors pourquoi ce brusque renversement de situation ? Je sais comment me nourrir de façon saine et équilibrée. Alors pourquoi faut-il que je m’obstine à tout vouloir vomir ? Pourquoi, après que ma gorge me brûle tant d’avoir dû accueillir l’acidité de mon estomac faut-il que j’enchaîne sur un deuxième repas dont le destin sera identique ?
Est-ce seulement le stress qui entraînent de telles réactions, à me faire frémir de tout mon corps ? Je reste positive de toute façon, comme toujours. Dans l’espoir d’un lendemain heureux et non acide.
Caroline