Sophrologie et troubles alimentaires
- Dans Actualités Autour des TCA
- par Isabelle PODETTI
- le 17/02/2015
Par : Isabelle PODETTI
Pour les personnes souffrant de TCA, le schéma corporel est une question particulièrement difficile. Outre la dissociation entre la tête (mental) et l’enveloppe corporelle, le corps est souvent perçu comme un objet de souffrance, de craintes et de dégoût. Il y a fracture dans la relation à soi, distance entre un esprit et un corps en souffrance qui ne parviennent plus à communiquer. L’alimentation – ou le refus de s’alimenter – devient un moyen de punir ce corps non reconnu, non accepté comme une partie de soi. Ne pouvant que difficilement tolérer les plaisirs et les désirs corporels (notamment la faim), les personnes souffrant d’anorexie et/ou de boulimie cherchent à contrôler leur corps. Ainsi, elles parviennent à « anesthésier » leurs émotions et leurs sensations et finissent par ne ressentir leur corps que dans la douleur ou dans l’effort intense.
Mais si travailler sur son schéma corporel permet de (re)trouver le lien à soi, il est difficile pour les personnes souffrant de troubles alimentaires d’abaisser la barrière du contrôle pour être dans l’accueil des sensations et le lâcher prise. Sentir son corps peut être douloureux, ressentir les émotions et le plaisir, intolérable… C’est pourquoi certains sophrologues, dont Coralie Weber, proposent une méthode visant à « la découverte, la conquête et la transformation de soi »[1], en accompagnement des soins médicaux et psychologiques.
Pour les personnes souffrant de troubles alimentaires, le contrôle est omniprésent, et la pression, intense : elles sont surveillées par l’entourage et par elles-mêmes. Elles sont sujettes à une double contrainte : il faut que je m’en sorte, il faut que je me restreigne (anorexie) / fasse une crise (hyperphagie, boulimie). La sophrologie propose de contourner la difficile question de l’alimentation pour ne pas aller immédiatement dans ce qui fait mal. Il serait en effet inutile voire dangereux d’essayer de « défoncer une porte barricadée »[2]. Il s’agira alors de développer l’écoute du corps sur des sensations moins difficiles : prendre quelques minutes pour sentir l’air sur son visage, le contact de l’eau sur sa peau, l’odeur de son gel douche,… Autant de courts moments où la personne sera centrée sur elle-même et pourra développer la relation qu’elle entretient avec elle-même.
Afin d’aider les patients à abaisser leurs barrières mentales, à être dans l’accueil de leurs sensations et non dans le jugement, la sophrologie utilise la relaxation dynamique, à savoir la conscience de soi dans le mouvement. Ainsi, il devient possible de travailler la conscience du corps et de développer son écoute, au cabinet comme dans la vie de tous les jours. Si certains ne ressentent pas tout de suite leur corps ou ne parviennent pas à se détendre, c’est que le moment n’est pas encore venu. Il faut toutefois savoir qu’en sophrologie « Rien n’est rien »[3]. Chaque sensation ou absence de sensation est un indicateur sur l’état de la personne, ici et maintenant. Une personne qui ne sent rien est une personne qui, à cet instant, n’a pas senti qu’elle pouvait lâcher prise. Cela ne signifie pas qu’elle n’en sera jamais capable après quelques temps, en faisant preuve de davantage de bienveillance envers elle-même, ou encore avec un autre thérapeute. Dans la prise en charge sophrologique il n’y a pas de réussite ou d’échec : nous vivons ce que nous sommes prêts à vivre ici et maintenant. Lorsque la personne souffrant de TCA parvient à entrer dans un état de relaxation, le sophrologue peut l’aider à accéder, à son rythme, à une certaine connaissance de soi, dans le respect de ses limites corporelles et psychiques. Après les premières séances permettant de relâcher le corps et l’esprit, reprendre contact avec ses sens et mobiliser le positif en Soi, Coralie Weber utilise pour sa part une méthode en trois étapes :
1/ Travail sur la notion de corps contenant et contenu
C’est un premier travail sur la peau visant à sentir son enveloppe corporelle et revenir à soi autrement que par la douleur. Cela permet aux personnes dissociées de ne plus se sentir en permanence « dispersées » dans l’espace, de prendre conscience de cette peau qui respire, qui s’adapte, les enveloppe et les protège.
2/ Travail sur le corps présent (conscience des muscles)
Cette seconde étape est importante, mais il ne faut pas la brusquer. Elle aide en effet à prendre conscience de son poids, sujet douloureux pour les personnes souffrant ou ayant souffert de TCA, mais qui permet de mieux sentir son ancrage dans le sol, l’importance et la réalité de son existence. Cela encourage à être présent à Soi, ici et maintenant, ce qui amène à terme une présence à l’autre et au monde différente.
3/ Travail sur la tridimensionnalité de l’être
Cette dernière étape permet de travailler sur les trois temps de l’existence :
La sophrologie permet donc de trouver en soi les ressources positives pour avancer, pour aller mieux. Elle permet d’accueillir progressivement toute sensation ou émotion, agréable ou désagréable, sans jugement. En travaillant la pleine conscience, ce travail sur le schéma corporel permet de retrouver la confiance et de renouer avec le plaisir de manger, dans le respect de son corps. Parallèlement, la sophrologie permet un lâcher prise qui ouvre à des pics de conscience. De fait, l’état de conscience modifié dans lequel le patient est plongé lors de la phase de relaxation, peut faire émerger des images, des couleurs, des souvenirs que le patient pourra élaborer avec un autre thérapeute (psychanalyste, psychiatre,…) dans les jours suivant la séance.
Peu à peu, le patient (re)contacte, outre ses sensations, ses qualités, ses valeurs, ses pensées, tout ce qui lui donne de la consistance et fait de lui une personne unique. Il développe « un œil tourné vers soi »[4]. S’il était auparavant entièrement dépendant du regard de l’autre, il comprend en cheminant que « le monde qui l’entoure ne le définit pas, et qu’il ne définit pas le monde qui l’entoure ». Survient alors un grand lâcher prise : la personne souffrant de TCA réalise qu’il est impossible de tout contrôler… et tant mieux ! Elle se rend également compte que ses mécanismes (troubles alimentaires) lui ont sauvé la vie à un moment donné mais qu’ils ne sont plus appropriés dans le présents, au vu des nouveaux outils dont elle dispose. La personne peut alors se pardonner : elle se libère du TCA tout en prenant conscience qu’il a contribué à faire d’elle la personne qu’elle est devenue. Elle accepte que ces mécanismes feront peut-être encore partie de son fonctionnement, sans pour autant régir sa vie.
Libérée de ses troubles, la personne peut alors se transformer. Cette étape intervient naturellement dans la continuité de la découverte et la conquête de soi. Consciente de ses qualités, de ses valeurs et de ses limites, elle se réalise pour vivre au plus près de ses besoins et de ses désirs (professionnels, familiaux…), sans pression réelle ou ressentie : elle est désormais capable de sentir ce qui est juste pour elle, tant dans l’alimentation que dans d’autres domaines de la vie.